Le syndrome des pièces manquantes et la logique du chômage

 

Il est utile de rappeler qu'à l'origine la monnaie n’a pas été inventée en tant que récompense, mais bien en tant que titre de production, comme un véritable "bon pour" collecter les biens, services et moyens de subsistance permettant de constituer le bien final.

Ensuite ce bien final qui peut représenter un bien intermédiaire pour un autre agent économique est vendu et le processus doit pouvoir se répéter. C’est donc dans la répétition du processus que peut se situer le problème du chômage, dès lors qu’un agent économique ne possède pas ou plus de monnaie, et ne peut plus par conséquent prendre part aux échanges économiques au sein de sa communauté.

 

Aussi, commençons par déterminer ce qu’est le seuil d’équilibre théorique, la situation dans laquelle chaque agent économique, pour autant qu'on les lui ait fournies un jour, retrouve toujours ses pièces de monnaie initiales lui permettant d’entretenir les cycles de production et consommation.

Le seuil d'équilibre théorique, sans chômage

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Considérons une petite communauté de 10 personnes, toutes actives.

Chacune des personnes reçoit 10 pièces et il est entendu de commercer sur la base du temps passé à raison d’une pièce pour une heure travaillée. Dans notre exemple, si ces personnes travaillent toutes 10 heures au quotidien, la valeur de leur production respective est toujours identique à celles des autres personnes du groupe, soit de 10 pièces, et l’ensemble des biens produits collectivement est valorisé à 100 pièces. 

Ainsi le cycle production, vente et consommation, peut toujours continuer car après échanges des biens produits chacun retrouve automatiquement ses 10 pièces.

 

En théorie, l'équilibre du système économique de notre petite communauté repose donc sur deux facteurs :

  • Des pièces de départ pour chaque agent économique, en nombre égal pour un temps de travail égal.
  • La valeur des biens fixée uniquement en fonction du temps de travail fourni.

Mais alors à partir de quand rien ne va plus ?

Profits, déséquilibres, et chômage

Le profit peut relever de l'abus et de l'escroquerie, mais aussi se justifier par un savoir-faire réel, ayant demandé un investissement immatériel et non quantifiable, et avec beaucoup de prise de risques.

Il est plus juste de parler de "valeur d'opportunité"

La valeur d'opportunité est ce qui nous motive, chacun cherchant à l'optimiser en fonction de ses avantages concurrentiels.

Aussi, nous sommes tous des opportunistes en puissance.

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L'opportuniste possédera 20 pièces après avoir vendu sa production, tandis que seules 80 pièces resteront acquises aux 9 autres membres de la communauté.

 

A partir de là, si l'opportuniste immobilise ses 10 pièces de profit, le volume d'échanges journaliers ne pourra excéder 90 pièces au total.

Le volume de production général est alors en baisse, puis en quelques cycles seulement les échanges dans la communauté s'arrêtent, faute de liquidité, toutes les pièces de monnaie ayant été captées par l'opportuniste.

 

 

L'opportuniste épargnant a ainsi créé 9 chômeurs.

 

Profits, inflation, et chômage

Dans un autre cas de figure l’opportuniste peut désirer toutefois consommer davantage et ne pas épargner. Ceci sans production personnelle supplémentaire, soit en fournissant 10 heures de travail au quotidien comme le reste de la communauté. La demande, alors d’un montant global de 100 pièces, est donc plus forte que l’offre, qui elle ne peut alors produire que l’équivalent de 90 unités de temps, durée de travail de l'opportuniste comprise.

Le reste de la communauté va ainsi être tentée d’augmenter ses prix afin de rattraper l’écart de valorisation du temps de travail entre elle et l’opportuniste. Dans ce cas, les profits actifs ont comme effet supplémentaire d’engendrer de l’inflation, sans pour autant que la production ne revienne à son niveau optimal car l’opportuniste continue de prélever davantage de pièces sur chaque échange. C’est alors une inflation

exponentielle qui s’enclenche et qui aboutit tout aussi automatiquement qu’avec les profits passifs à l’arrêt total de l’activité, faute de liquidités, toutes les pièces de monnaie ayant été captées par l’opportuniste.

 

L'opportuniste dépensier a également créé 9 chômeurs.

 

Gentils pauvres et vilains riches ?

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Le débat consiste plutôt à bien savoir quels sont les impacts lorsqu'on détient une grande quantité de monnaie.

 

Il convient de remarquer que toute valeur d’opportunité positive d’un agent économique sous‐tend obligatoirement une valeur d’opportunité négative pour un autre, eu égard au volume de production disponible à la consommation.

Dans l’exemple de notre petite communauté de dix personnes, il est permis à l’opportuniste de valoriser son temps de travail d’un montant supérieur au reste de la communauté, sans déséquilibrer le système, mais à la condition exclusive que les autres membres dévalorisent proportionnellement leur propre temps de travail.

C’est seulement dans cette condition que les échanges peuvent perdurer, avec une consommation supérieure pour l’opportuniste permise par la consommation inférieure des autres.

Aussi, devrions-nous savoir qu'une balance ne peut pencher des deux côtés à la fois. Aussi devrions-nous savoir que le profit a des conséquences certaines sur l'ensemble de la société. Qu'il soit passif et

immobilisé et il réduit mécaniquement le niveau de production général jusqu’à l’arrêt total de l’activité.

Qu'il soit actif et consommé, c'est alors à l’unique condition de dégrader le niveau de consommation et à dévaloriser le temps de travail des autres agents économiques, sans quoi ce profit ne peut être consommé en raison d’une demande supérieure à l’offre, ceci générant en prime de l’inflation.

 

Le profit a donc une véritable incidence sur le système économique, d'ordre mathématique et logique. Le profit est le premier facteur de rupture avec le seuil d’équilibre du taux d’emploi et avec le seuil d’équité entre les agents économiques et leur niveau de consommation respectif.

 

Le crédit des pièces manquantes

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Le crédit est en quelque sorte le pendant des profits, qui épargnés, constituent en partie la source des emprunts. Dans notre petite communauté de 10 personnes, l’opportuniste qui prélève davantage de pièces à chaque échange va ainsi les remettre en circulation via le crédit. Et demander des intérêts sur les remboursements, ce qui va encore

augmenter sa part de profits et diminuer le volume de monnaie libre disponible pour les échanges.

Logiquement, après un certain nombre de crédits, toutes les pièces des autres  membres de la communauté auront été captées par les intérêts perçus. L’opportuniste va posséder 100 pièces

tandis qu’entre‐temps les emplois se seront réduits un à un jusqu’à l’arrêt total de l’activité.

 

Cette situation est singulière mais pourtant bien réelle dans nos économies.

C’est le crédit des pièces manquantes, l’autre face d’une même pièce retirée du circuit économique. Le crédit avec intérêts est connexe au facteur profit et ne garantit donc aucunement un emploi pour tous car étant essentiellement le corollaire des profits déséquilibrant le taux d’activité. L’enchaînement profits et crédits avec intérêts concourt à la suite mathématique qui fait tendre le taux d’activité vers zéro.

 

Autres pièces manquantes

Il est à remarquer qu’aucune disposition particulière n’est prévu pour les nouveaux entrants sur le marché du

travail, du moins pour la partie qui représente une vraie augmentation de la population active, donc demandeuse d’emploi.

Avec notre petite communauté de 10 personnes il est aisé pourtant de comprendre qu’en portant à 15 le

nombre d’agents économiques, il convient d’introduire 50 pièces supplémentaires si l’on souhaite que

chacun puisse avoir un emploi et réaliser des échanges.

Or, cette introduction de pièces supplémentaires n’a pas systématiquement lieu dans nos économies car elle dépend uniquement de la sphère du crédit bancaire, crédits essentiellement contrôlés par les agents privés. C’est l’autre facteur aggravant à prendre en compte.

Profits, pièces manquantes, et chômage

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Il faut bien percevoir qu’en général l’opportuniste ne s’embarrasse pas de considérations sociétales. Ou les agents économiques sous son contrôle se

satisfont de la valeur d’opportunité négative imposée, le cas échéant en l’améliorant par des produits d’importation à forte valeur ajoutée en

temps de travail, ou dans le cas contraire l’opportuniste supprime un agent économique en le laissant hors circuit, ceci lui permettant de répartir

plus de monnaie active sur moins de personnes.

Il crée un chômeur, quitte à diminuer le niveau de production général et ceci tant que son propre

niveau de consommation est assuré.

 

 

 

C’est là le danger de notre système capitalistique que d’être capable de scier la branche sur laquelle il repose, ignorant le point de rupture inéluctable, celui par lequel l’activité s’arrête lorsque tout le capital affecté à la production a été capté et que plus aucun agent économique ni même état ne sont solvables pour un ultime crédit.

 

La monnaie en question

Notre système ne prévoit pas systématiquement de dotation à la production pour chaque nouvel agent

économique entrant ou présent sur le marché du travail. De fait, il manque des pièces pour réaliser des échanges, alors même que d’autres pièces sont accumulées avec profit sur les comptes bancaires des opportunistes.

Le crédit à la production avec intérêts, comme seul outil d'ajustement de la masse monétaire en circulation, n’est pas suffisamment efficient et ne fait que retarder l’échéance de l’arrêt total de l’activité dû à l’accumulation et à la séquestration du capital circulant.

 

Suite à ces constats nous pourrions énoncer les règles suivantes :

  • La monnaie est un ordre de production, « un bon à produire » et non un titre de récompense ayant comme seule vocation de permettre la consommation.
  • La détention de monnaie implique de produire, la consommation n’étant que subséquente.
  • La monnaie ne peut être captée durablement au titre de la propriété.
  • La monnaie est un bien public, un dispositif qui garantit le droit et le devoir pour chaque agent économique de produire dans la finalité de consommer la juste partie lui revenant.

Il nous faudrait donc concilier ces règles d’or avec les constats précédents. C’est dans ce sens qu’ont été pensés les bons d’activités.

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